18 martie 2025

Numéro 8 : Le mal

SOMMAIRE

 

PRÉSENTATION

par Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR

 

AGORA

 

Jacques LE RIDER, L'inexprimable singularité : quand nous ouvrons la bouche, nous parlons dans le désert. Le scepticisme linguistique de Fritz Mauthner

Ciprian VĂLCAN, Philosophes et reptiles

 

DOSSIER THÉMATIQUE : LE MAL

 

Marc de LAUNAY, Péché « originel » ?

Constantin MIHAI, La rédemption et le mal

Odette BARBERO, Peut-on représenter le mal ?

Pierre FASULA, Par-delà bien et mal ?

Roxana MELNICU, L'emb(a)rassement du Bien et du Mal

Pierre JAMET, Macbeth ou l'ontologie noire (Shakespeare et Nietzsche)

Massimo CARLONI, « J'ai vécu l'inexprimable ». Jean Améry et l'échec du mal

 

DÉS/DEUX ORDRES DU MONDE ET DU LANGAGE

 

Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR, Amèrement habite l'homme… Sur l'onto-poïétique de l'amertume chez Cioran

Aymen HACEN, Une poire pour la soif

 

EXPRESSIS VERBIS

« Je crois que la poésie participe, grâce à son lecteur, de ces accords secrets dont le visage n'est qu'amour et lumière. » (entretien avec Yves LECLAIR réalisé par Mihaela-Genţiana Stănişor)

Yves LECLAIR, Pure perte (Poèmes inédits)

 

ÉCHOGRAPHIES AFFECTIVES

 

Michel TREMBLAY, Gorgonéion

Marcelo dos Santos MAMED, La peau

Antonio DI GENNARO, Breve dialogo su Dio e sul male

Paul MATHIEU, Éclaire

Daniel LEDUC, Journal Impulsion

 

LE MARCHÉ DES IDÉES

 

Simona CONSTANTINOVICI, Hommage à une femme d'un siècle passé

Abderrahman BEGGAR, Eagleton Terry, On evil, New Haven / London, Yale University Press, 2010

Raluca ROMANIUC, E. M. Cioran, A. Guerne, Lettres (1961-1978), Éditions de L'Herne, 2011. Édition établie et annotée par Vincent Piednoir, 286 p.

Ariane LÜTHI, Histoires de jardins

Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR, L'éloge des (im)puissances humaines

 

PRÉSENTATION

 

Le Mal : approchements et détachements d'un concept vécu

Le thème du Mal est aussi difficile d'aborder que délicat. Surtout parce qu'on a une certaine gêne à l'accepter ou à l'approfondir. Ou parce qu'on pense que l'acte même d'écrire sur le mal produit du mal. S'approcher du mal, philosophiquement, religieusement ou poétiquement signifie en fait vivre pour un temps dans son voisinage, découvrir ou expliquer ses (res)sources, sentir sa puissance, tolérer sa nécessité, sourire devant sa fatalité, et l'associer inévitablement au bien, afin de les regarder en miroir, comme la face et le revers de l'existence humaine. Fatalement, il n'y a pas de bien sans mal, de bonheur sans malheur, de Dieu sans diable. Dans son Dictionnaire philosophique (1764), Voltaire formulait la question qui hante tout esprit et à laquelle chaque esprit essaie de trouver la réponse : « Pourquoi existe-t-il tant de mal, tout étant formé par un Dieu que tous les théistes se sont accordés à nommer bon ? »1 L'existence du mal met en cause et en doute l'existence de Dieu. Selon Camus et sa théorie exprimée dans Le Mythe de Sisyphe, « Car devant Dieu, il y a moins un problème de la liberté qu'un problème du mal. On connaît l'alternative : ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables, mais Dieu n'est pas tout-puissant. »2 Absurde ou non, l'existence suppose le choix entre le bien et le mal ainsi que la lutte contre le mal, car toute tentative de se soustraire à ce binôme fatidique est vouée à l'échec. Seul le sceptique, dit Cioran quelque part dans ses Cahiers, pourrait éluder cet antagonisme, car il ne coopère ni avec le bien, ni avec le mal, ni même avec soi.D'où vient le mal et comment s'y soustraire ou ne pas le provoquer ? Qui a créé le mal et pour quelles raisons ? Ce sont des questions auxquelles l'esprit humain essaie de trouver des réponses. Même la sagesse populaire offre des réponses à cette question fondamentale de l'humanité. Un proverbe russe affirme avec désinvolture que « Dieu a créé le mal pour que l'enfer ne demeure pas vide. »Dans la mesure où le mal existe, on se demande qui est coupable de son existence : Dieu, l'autre ou les autres, soi-même. Le mal peut être provoqué par une présence extérieure à l'individu (d'ici tous les cataclysmes naturels ou sociaux), mais aussi c'est lui-même qui est à l'origine de son propre mal, de son propre malheur. Il ne s'agit pas d'hédonisme ou de masochisme, mais d'un modèle de vie voué au tourment sans cesse. L'homme devient la victime de ses propres impuissances. Cioran analyse avec pertinence, dans le fragment intitulé « Les sources du mal », ce type de mal, le plus cruel, le plus intime, le plus impossible à éviter :  Comment combattre le malheur ? En nous combattant nous-mêmes : en comprenant que la source du malheur se trouve en nous. Si nous pouvions nous rendre compte à chaque instant que tout est fonction d'une image reflétée dans notre conscience, d'amplifications subjectives et de l'acuité de notre sensibilité, nous parviendrons à cet état de lucidité où la réalité reprend ses vraies proportions. L'on ne prétend pas ici au bonheur, mais à un degré moindre de malheur. […] En prenant notre misère subjective pour un mal objectif, nous croyons pouvoir alléger notre fardeau et nous dispenser des reproches que nous devrions nous adresser. En réalité, cette objectivation accentue notre malheur et, en le présentant comme une fatalité cosmique, nous interdit tout pouvoir de le diminuer ou de le rendre plus supportable.3
Même si Cioran met le malheur en balance avec le bonheur, il ne croit pas au bonheur, mais seulement à la possibilité de l'homme d'atténuer son malheur par sa propre lucidité. C'est une vision pessimiste de l'homme et de sa misérable condition, placée sous le signe d'une fatalité malveillante.À l'autre extrémité, il y a aussi des penseurs du mal qui trouvent une justification optimiste, même bénéfique à sa présence au monde. C'est Leibniz qui, étant préoccupé par le mal et sa typologie (il parle de trois types de mal : physique, moral et métaphysique, ce dernier visant l'imperfection et la limitation de chaque créature/création d'un Dieu parfait), offre une interprétation optimiste à sa présence tripartite : si le mal existe, c'est parce qu'il est nécessaire à l'accomplissement de bonnes actions supérieures. Nous vivrions ainsi dans le « meilleur des mondes possibles », expression utilisée par Voltaire dans son Candide ou l'Optimisme pour caricaturer la pensée leibnizienne, oeuvre parfaite d'un Dieu parfait. Cette justification du mal dépasse la simple explication de contraste, non seulement le mal (la souffrance) est nécessaire pour permettre à l'homme de découvrir le bien (le bonheur), mais il est aussi nécessaire à l'accomplissement de ce bien.C'est évident que la problématique du mal et du malheur a beaucoup plus préoccupé l'esprit que celle du bien et du bonheur. Cela s'explique probablement par l'attraction que l'esprit manifeste pour ce qu'il y a de négatif, de condamnable. Écrire sur le Mal, faire son herméneutique, ou consigner tout simplement son propre mal, subi ou administré, devient une forme de lui résister. Les auteurs de ce numéro démontrent que ce sujet n'a pas perdu sa ignification et ses enjeux religieux, énigmatiques et douloureux. Réfléchir sur « le péché originel » ou réinterpréter la Bible (Marc de Launay) ; questionner les différentes formes du mal, vu comme « la condition humaine caractérisée par une négation progressive de la liberté individuelle, qui empêche de se projeter dans le monde, de se dérober à l'inertie pétrifiée de ce que l'on a été, situation qui culmine avec la suppression définitive de la personne après la mort. Une telle situation peut s'accompagner de douleurs physiques ou de souffrances morales ; elle peut survenir en nous de l'extérieur ou nous user de l'intérieur ; elle peut exprimer une volonté individuelle ou collective, c'est-à-dire un mécanisme social impersonnel » (Massimo Carloni) ; esquisser une « ontologie noire » (Pierre Jamet) ou mettre en correspondance le mal et le bien, suivre leurs échos émotionnels (Roxana Melnicu) ; analyser l'omniprésence du mal et son statut politique, « Le Mal y est, Il s'en sert, Il s'en amuse, Il en abuse. Je Le vois à l'oeuvre à tout instant. Il est partout et il suffit de vouloir Le voir, L'observer, Le regarder en face, à la télévision, à la radio, dans les discours, dans les journaux, dans les cafés, dans la rue, dans certains livres. Il est omnipotent parce qu'Il est politique. » (Aymen Hacen) ; mettre en discussion la question de « la rédemption et du mal » (Constantin Mihai) ; se demander philosophiquement « en quel sens [on peut] parler d'un dépassement du bien et du mal » ? (Pierre Fasula) ; prendre en vue et systématiser les représentations du mal, notamment trois modèles, « médical et pathogénique », « logique » et « civilisationnel » (Odette Barbero) : tout cela représente des essais d'élargir et d'approfondir la problématique, toujours ouverte et bouleversante, du Mal.
Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR
1 Voltaire, Dictionnaire philosophique ou la raison par l'alphabet, in Œuvres complètes, tome 7, deuxième partie, p. 569 ;  lien vers lecture en ligne.2 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1971 (1942), p. 79.3 Cioran, Sur les cimes du désespoir, in Œuvres, Paris, Gallimard, 1995, pp. 96-97.

 

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